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[Dossier] Effets de la dépigmentation : Le chagrin des victimes désenchantées  

Rédigé par leral.net le Vendredi 5 Novembre 2021 à 18:50 | | 0 commentaire(s)|

Elles espéraient être plus belles, plus rayonnantes avec une peau éclatante quitte à supplicier leur peau. La dépigmentation a excité leur enthousiasme. Aujourd’hui, beaucoup d’entre ces femmes sont bourrelées de remords. Désappointées, elles confient, ici, leur amertume.   Noires, la carnation claire était devenue leur obsession. Et la dépigmentation apparaissait comme l’ultime et périlleux recours. L’envie […]

Elles espéraient être plus belles, plus rayonnantes avec une peau éclatante quitte à supplicier leur peau. La dépigmentation a excité leur enthousiasme. Aujourd’hui, beaucoup d’entre ces femmes sont bourrelées de remords. Désappointées, elles confient, ici, leur amertume.  

Noires, la carnation claire était devenue leur obsession. Et la dépigmentation apparaissait comme l’ultime et périlleux recours. L’envie d’attirer les regards, de se sentir bien dans une peau suppliciée, a levé les dernières hésitations des bonnes dames en quête d’«éclat ». Grâce aux mélanges de produits de toutes sortes, elles ont réussi à changer de couleur pour jouir d’un teint rêvé. Une joie éphémère. Elles sont aujourd’hui bourrelées de remords et n’ont que leurs yeux pour pleurer et le cœur pour contenir leur amertume. Ngoné est vendeuse de beignets à Dalifort, ses joues noirâtres contrastent avec un visage « arc-en-ciel ». C’est avec gêne qu’elle regarde d’ailleurs ses clients. « Si c’était à refaire, je ne l’aurais jamais fait. J’étais jeune, belle, rêveuse, insouciante…Mais quand je m’apprêtais à célébrer le baptême de mon fils aîné, j’ai commencé à utiliser des produits éclaircissants », se souvient-elle, désappointée.

C’était il y a plus de 10 ans. Le coup réussit. Elle est prise d’enthousiasme. Car, confie-t-elle, tout le monde parlait de son « teint ». Elle décide alors d’accélérer la cadence. « Quand je regardais les photos de la cérémonie, j’étais vraiment rayonnante. J’ai alors décidé de renforcer les produits. Je suis devenue encore plus claire », poursuit-elle. Mais entre vergetures, taches de piqûres de moustiques, la peau devient fragile et ce qui était éclatant commence à blêmir. « J’ai alors décidé de laisser tomber. Mais je noircissais plus qu’avant. Je ne pouvais plus avoir un teint uniforme. C’est le plus gros regret de ma vie », reconnaît-elle, tout en tirant le foulard qui ne la quitte jamais. Parce que, dit-elle, « même la peau des épaules est devenue rigide. Je ne le conseillerais à personne. C’est de la folie ».

Comme de la croûte

Fatou F., elle aussi, est rongée de regrets. La dépigmentation a abattu sa fierté. Du haut de son mètre 85, elle ne passe pas inaperçue. Il suffit de l’approcher pour découvrir une peau malmenée par la dépigmentation. C’est le pire mensonge de l’histoire, soutient-elle, avec ironie. « On vous fait croire que vous pouvez avoir un teint éclatant, mais en réalité, ça ne dure pas. Et les risques sont énormes. Moi qui vous parle, j’ai failli perdre la vie », narre-t-elle, les yeux ternes. En effet, explique la dame, la quarantaine sonnée et gérante de multiservices, alors qu’elle devait accoucher, les médecins ont jugé qu’elle ne peut pas accoucher par voie normale. Il faut alors l’opérer. C’est lors des soins préopératoires que les équipes médicales découvrent un abdomen couvert par une peau qui ne peut plus supporter une suture. « La première fois, j’avais accouché par césarienne. Je n’avais pas encore commencé à me dépigmenter. Cependant, quand les médecins ont vu mon ventre, ils ont hésité pendant près d’une demi journée. Après avoir constaté qu’il n’y avait aucune autre option, ils ont décidé de m’opérer », se souvient-elle, la voix monotone, le regard éteint.

La dame s’en sort, mais la plaie mettra près d’un mois avant de se cicatriser. En plus de cette douleur, elle doit régulièrement se rendre à l’hôpital pour des pansements et éviter tout mouvement brusque. « J’ai pensé que j’allais mourir, raconte-t-elle. Sortie de cette épreuve, j’ai mis tous mes produits à la poubelle ». Même si elle a décidé d’abandonner les produits éclaircissants, ces derniers ne la quitteront pas de sitôt. Comme de la croute, sa peau se dégrade de jour en jour. Le drame, dit-elle, « c’est qu’on ne peut plus retrouver sa peau d’antan et on n’ose plus continuer la dépigmentation ». Le dépit l’envahit. Le remords la ronge.

PULL OVER, CHAUSSETTES EN TOILE, MÉLANGES HETEROCLITES

Des corps suppliciés

Si elles ont réussi à changer la couleur de leur peau, très souvent, c’était au prix d’énormes sacrifices. La plupart de celles qui veulent s’éclaircir rapidement utilisent des méthodes assez « sadiques ». Par exemple, explique une dame, il y a un mélange qui est vendu dans les marchés et qui peut changer la peau en un temps record, mais les instructions sont destructrices. « Il faut chercher beaucoup de chaleur. Après s’être enduit du lait, on te demande de porter un pull-over et des chaussettes en toile qui sont vendues par les mêmes dames. L’idée est de chauffer la peau. Je suis passée par toutes ces étapes. Aujourd’hui, c’est le plus gros regret de ma vie », raconte-t-elle, en enlevant ses chaussures pour montrer une fine membrane, noirâtre, presque collée aux os et où les vaisseaux sanguins sont visibles à l’œil nu.

Aux souvenirs de « Ghana », « Akagni », « Top gel »… 

Ils ne sont plus à la mode, mais ces produits de dépigmentation ont « démocratisé » l’accès aux produits éclaircissants. Ils ont pour noms « Akagni », « Ghana », « Top gel » … Le plus cher de ces produits ne dépassait pas 300 FCfa. Lahad, aujourd’hui reconverti dans l’animation, est communément appelé Lahad Ghana en référence aux produits qu’il vendait, il y a plus d’une vingtaine d’années. « J’étais connu partout. Mais les produits se sont beaucoup améliorés. A l’époque, avec 1000 FCfa, on pouvait se faire un mélange », se souvient-il. Mais Lahad reconnaît que la vente n’obéissait à aucune règle de conservation. Selon lui, les utilisatrices ne se préoccupaient point de la date de péremption ou de la conservation. L’essentiel, pour elles, dit-il, c’est le résultat rapide. « Je connais beaucoup de femmes qui le regrettent amèrement aujourd’hui. C’est l’une des raisons qui m’ont poussé à abandonner ce commerce qui était pourtant rentable. Je me sentais en partie responsable de ce qui arrivait à certaines femmes qui voyaient leur peau se détériorer.

Oumar FEDIOR 



Source : http://lesoleil.sn/dossier-effets-de-la-depigmenta...